samedi 18 juin 2011

crise des hôpitaux

Réflexions sur la gestion des hôpitaux.(Cette contribution est l'oeuvre d'un ami très cher dont je partage toutes les idées sur la question)
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Faiblesses de l’analyse de la crise des hôpitaux.

Si les citoyens, les professionnels de santé et les autorités publiques, chacun pour des raisons qui lui sont propres, ne sont pas satisfaits des hôpitaux publics, c’est que les hôpitaux publics ont un grand problème. Les citoyens se plaignent des problèmes d’accès aux services hospitaliers. Les professionnels de santé se plaignent de ne pas avoir été impliqués dans la mise en œuvre de la réforme hospitalière et des délais de paiement de leurs indemnités de « motivations ». Les autorités publiques se plaignent des dettes des hôpitaux publics qu’elles seront obligées d’absorber. Face à tous ces blâmes et plaintes, il y a lieu de se demander si les hôpitaux publics sont les seuls responsables des problèmes auxquels ils sont confrontés.
Est-ce que les hôpitaux sont responsables des problèmes d’accès des citoyens aux services hospitaliers ? Les problèmes d’accès aux services hospitaliers sont liés non seulement aux niveaux des tarifs des services, mais aussi aux niveaux de revenus et aux mécanismes à travers lesquels les citoyens payent pour les services hospitaliers. Premièrement, il faut rappeler ici que la détermination des tarifs des hôpitaux n’incombe pas uniquement aux hôpitaux et leur conseil d’administratif respectif. C’est l’Etat, à travers les ministères chargés du commerce et de la santé, qui détermine les règles de définition des tarifs des services hospitaliers, y incluse la fourchette dans laquelle doivent s’inscrire tous les tarifs des hôpitaux. Ainsi, dans le domaine de la tarification des services hospitaliers, l’EPS ne jouit que de droits résiduels qu’il exerce dans un cadre restreint défini par la réglementation. En d’autres termes, le domaine de la tarification des services hospitaliers est un domaine de responsabilité partagée entre l’Etat et l’établissement public de santé.
Deuxièmement, personne ne va s’aventurer à faire porter la responsabilité des faiblesses des niveaux de revenus et des mécanismes à travers lesquels les citoyens payent pour les services hospitaliers aux EPS. Les EPS ne sont pas responsables de la politique économique du pays, encore moins du niveau des revenus des Sénégalais. Par ailleurs, les EPS sont appelés à disposer de services sociaux pour administrer un système d’exemptions pour assurer l’accès aux soins aux catégories de la population qui n’ont pas la capacité de payer, à savoir aux plus démunis et aux indigents : dans ce mécanisme de prise en charge des soins, cependant, le rôle du service social de l’EPS est strictement administratif ; la politique d’exemption et le financement des exemptions sont du seul ressort de l’Etat et des collectivités locales. Reste à savoir maintenant si l’Etat et les collectivités locales prennent leur responsabilité dans le cadre de la prise en charge des indigents.
Pour les autres catégories de la population, il est préférable de bénéficier de la couverture d’un système d’assurance maladie (assurance commerciale, institutions de prévoyance maladie, ou mutuelles de santé) pour accéder aux services hospitaliers et atténuer les incidences financières des soins au niveau des hôpitaux. Dans aucun pays au monde, les hôpitaux ne sont responsables de la politique de l’assurance maladie : la promotion de l’assurance maladie est une responsabilité de l’Etat et des collectivités locales.
Les hôpitaux sont-ils responsables de la faible implication des professionnels de santé dans la mise en œuvre de la reforme hospitalière et des délais de paiement de leurs indemnités de motivations ? Les hôpitaux sont un parmi les acteurs de la réforme hospitalière : ils contribuent à la conception et la mise en œuvre de la réforme hospitalière. La réforme hospitalière est, cependant, l’expression d’une volonté des pouvoirs publics : nous reviendrons sur les fossés dans l’initiation de la réforme hospitalière !
Qu’en est-il de la motivation du personnel hospitalier ? Dans ce domaine précis, l’Etat a outrepassé ses prérogatives, lorsque pour faire taire les grèves et les revendications des syndicats du secteur de la santé, il a imposé aux hôpitaux nouvellement autonomes à payer des motivations au personnel des hôpitaux à hauteur de 25% des recettes générées par les hôpitaux. En d’autres termes, l’Etat s’est ingéré dans la gestion des hôpitaux en leur créant des charges dont il n’est pas certain qu’ils peuvent supporter le poids.
Est-ce que les gestionnaires des hôpitaux sont responsables des déficits accumulés par les hôpitaux publics ? Le Président de la République, dans son discours à la nation du 31 décembre 2008, a-t-il raison de faire porter toute la responsabilité des déficits des hôpitaux aux gestionnaires des hôpitaux ? Si la responsabilité de ces dettes n’incombait seulement qu’aux gestionnaires des hôpitaux, on devrait s’attendre, toutes choses égales par ailleurs, à observer des hôpitaux déficitaires et des hôpitaux qui génèrent des surplus. Ceci n’est pas le cas : sur les dix-sept (17) établissements publics de santé (EPS), tous accumulent des dettes importantes. Que tous les EPS croulent sous des dettes importantes devrait amener les autorités publiques à chercher les causes non seulement au niveau organisationnel, à savoir au niveau individuel de la gestion de chaque hôpital, mais aussi au niveau systémique, à savoir au niveau des politiques et règles qui régissent les relations entre les pouvoirs publics et les hôpitaux, et les relations entre les citoyens et les hôpitaux. Nous reviendrons sur les causes de l’endettement des hôpitaux !
A la lecture des réponses aux questions ci-dessous, il est clair que faire porter le blâme des fossés dans la gestion des hôpitaux à la réforme hospitalière et aux gestionnaires des hôpitaux est trop facile et ne résiste pas à l’analyse. Cette conclusion partielle n’est pas un blanchissement des gestionnaires des hôpitaux relativement aux causes de la crise actuelle des hôpitaux ; c’est surtout une invitation à une réflexion plus profonde sur les causes de la crise des hôpitaux au Sénégal.

Des causes systémiques de la crise des hôpitaux au Sénégal
Le Sénégal est parmi les derniers pays en Afrique à avoir engagé la réforme hospitalière. La Côte d’Ivoire, le Bénin, le Niger et le Mali, pour ne citer que les pays francophones d’Afrique de l’Ouest, ont octroyé l’autonomie à leurs hôpitaux publics plus d’une décennie avant la réforme hospitalière au Sénégal, même si le premier séminaire sur la question en Afrique de l’Ouest s’est tenu à Dakar en 1985 Ces pays francophones d’Afrique ont engagé leur réforme hospitalière sans des grèves récurrentes dans les hôpitaux et sans un endettement chronique des hôpitaux . Pourquoi la réforme hospitalière et les hôpitaux sont-ils en train de s’enliser au Sénégal ?
Une des réponses à cette question est liée au contexte dans lequel l’autonomisation des hôpitaux a été initiée au Sénégal et qui s’est traduit par des tares congénitales de la réforme hospitalière sénégalaise. En effet, la réforme hospitalière est née sous deux compromis qu’il est difficile à réconcilier et qui ont eu des implications importantes sur la viabilité des nouveaux hôpitaux autonomes : un compromis entre la décentralisation politique et administrative et la décentralisation technique; un compromis entre le centralisme étatique et les exigences des professionnels de la santé. Il est suggéré ci-dessous que le compromis entre la décentralisation politique et administrative et la décentralisation technique s’est traduit dès l’initiation de la réforme hospitalière par des défis de la viabilité institutionnelle des nouveaux hôpitaux autonomes. Par ailleurs, le compromis entre le centralisme étatique et les exigences des professionnels de la santé s’est traduit par des défis de la viabilité financière des nouveaux hôpitaux autonomes.
Un compromis entre la décentralisation politique et administrative et la décentralisation technique. Entre 1992 et 1996, le Sénégal a engagé de profondes réflexions sur la décentralisation qui ont abouti aux réormes de décentralisation administrative et politique de 1996, appelées communément la régionalisation au Sénégal. A travers ces reformes, l’Etat a créé une nouvelle entité politique, la région, et dévolu des compétences, dont la santé, aux collectivités locales. La responsabilité de la gestion des hôpitaux régionaux a été dévolue à la nouvelle collectivité locale qu’est la région : une collectivité locale sans territoire, sans ressources propres, sans administration locale ; en d’autres termes, une collectivité locale sans autorité.
Cette réforme majeure est intervenue quand les acteurs de la santé étaient en train de préparer le plan décennal de développement du secteur de la santé (PNDS). Dans les premiers documents du PNDS, les acteurs de la santé envisageaient l’initiation de la réforme hospitalière sur la base d’une approche incrémentielle. Il était prévu d’octroyer l’autonomie à quelques hôpitaux durant une phase pilote, et étendre la réforme hospitalière à l’ensemble des hôpitaux dans des phases ultérieures. L’approche incrémentielle est très usuelle dans les réformes très complexes du secteur de la santé : dans le cadre de l’approche incrémentielle, la phase pilote est utilisée pour renforcer le consensus entre les parties prenantes sur le cours des action politiques à prendre, développer les instruments juridiques de la réforme, adapter les stratégies, développer des nouveaux systèmes de gestion, et renforcer les capacités des acteurs pour la mise en œuvre. C’est durant la phase pilote que les parties prenantes en général, les professionnels de la santé, dans un secteur où la légitimité cognitive est très importante comme le secteur de la santé, en particulier, sont impliqués dans le processus pour s’assurer leur appropriation de la réforme dès son initiation.
Avec la mise en œuvre des réformes de régionalisation en 1997, les hôpitaux régionaux se sont retrouvés sous une nouvelle tutelle, la région, à qui les budgets des hôpitaux régionaux ont été transférés. Les budgets des hôpitaux régionaux constituent la part la plus importante du fonds de dotation transférés par l’Etat aux régions, des collectivités locales sans ressources propres, créant ainsi une source institutionnelle de conflits entre les hommes politiques qui dirigent les conseils régionaux et les hôpitaux régionaux. Dès l’année 1997, les directeurs des hôpitaux régionaux ont eu et continuent à avoir toutes les difficultés du monde pour recevoir leurs crédits ; en plus, certains des présidents de conseils régionaux ont détourné une partie des budgets des hôpitaux vers d’autres destinations, en toute impunité.
Avec la dévolution de la gestion des hôpitaux régionaux aux régions et les difficultés rencontrées par les hôpitaux dès la mise en œuvre de la reforme de la régionalisation en 1997, le Ministère de la Santé ne pouvait plus se permettre le luxe d’une phase pilote. Il lui fallait protéger le noyau dur du secteur de la santé : les hôpitaux. C’est pourquoi le Ministère de la Santé a engagé le bras de fer dès 1997.
Une inspection nationale a été lancée pour auditer la gestion des ressources de la santé transférées aux collectivités locales à travers le fonds de dotation de la décentralisation. Cette inspection a abouti sur un rapport de braises sur la mauvaise gestion des budgets des hôpitaux par les présidents de conseil régional, des budgets des districts sanitaires par les maires. Le ministère chargé de la décentralisation, dirigé par un maire à l’époque, y mettra de l’eau devant le conseil national des collectivités locales en parlant des petits problèmes de la décentralisation dans le secteur de la santé. Les enjeux politiques de la décentralisation administrative et politique étaient beaucoup plus importants que les petits problèmes budgétaires des hôpitaux et des districts sanitaires !
Le Ministère de la Santé s’est alors résolu d’engager le processus d’autonomisation des hôpitaux dans un environnement politique contraignant. En effet, les réalités du partage des pouvoirs dans le système politique sénégalais n’étaient pas en faveur des acteurs de la santé. A la faveur du cumul des mandats, beaucoup de membres du gouvernement étaient des maires ; les leaders de l’assemblée nationale sont soient des présidents de conseil régional, soient des maires, qui pour leur grande majorité étaient des leaders du parti socialiste au pouvoir.
La loi de 1998 qui initie la réforme hospitalière, quelques mois seulement après que la gestion des hôpitaux régionaux ait été transférée aux régions en 1996, est adoptée sous le signe d’un compromis entre la réforme de décentralisation administrative et politique et la réforme de décentralisation technique qu’est la réforme hospitalière : un compromis qui, au lieu de mitiger, a plutôt augmenté, les sources institutionnelles de conflits entre les élus locaux et les professionnels de la santé. En effet, la réforme de décentralisation administrative et politique octroie des droits de décision résiduels aux élus locaux sur l’espace hospitalier ; par ailleurs, la réforme de décentralisation technique, qu’est la réforme hospitalière, octroie aussi des droits de décision résiduels aux professionnels de la santé sur le même espace hospitalier.
Ce contexte du lancement de la réforme hospitalière a eu des implications importantes sur les arrangements institutionnels de la réforme hospitalière, la mise en œuvre de la réforme, et la situation actuelle des hôpitaux. Premièrement, la phase pilote qui devait servir de plateforme au processus de légitimation de la réforme hospitalière auprès des professionnels de la santé n’a pas eu lieu. C’est pourquoi il est fréquent d’entendre les professeurs de médecine et les associations des professionnels de la santé dire tout haut, chaque fois que ça les arrange, qu’ils n’ont pas été impliqués dans la conception de la réforme hospitalière. Qu’une partie prenante de la réforme hospitalière aussi importante que les professionnels de santé ait une telle position a porté un énorme préjudice aux arrangements institutionnels de la réforme.
Deuxièmement, la phase pilote devait servir aussi de base pour élaborer tous les textes juridiques ayant trait à la réforme hospitalière. Celle-ci n’ayant pas eu lieu, la réforme a été engagée sans que des textes clés aient été adoptés, dont le fameux texte sur le statut du personnel des établissements publics de santé. Certains nouveaux systèmes de gestion des hôpitaux qui devaient accompagner la mise en œuvre de la réforme hospitalière ont tardé à être mis en place.
Troisièmement, dans d’autres pays, la réforme hospitalière est initiée avec des membres des conseils d’administration sélectionnés parmi les hauts fonctionnaires des institutions financières publiques et des chefs d’entreprise du secteur privé pour accompagner l’installation de nouveaux systèmes de gestion et mobiliser les ressources nécessaires à la modernisation de l’hôpital. Au Sénégal, les hôpitaux autonomes se sont retrouvés dès le démarrage de la reforme hospitalière sous la gouvernance d’acteurs qui n’ont pas encore internalisé l’énorme responsabilité qui est la leur : les élus locaux qui peuplent les conseils d’administration de l’établissement public de santé. Jusqu’à présent, il est difficile de mobiliser les élus locaux membres des conseils d’administration des EPS qui sont beaucoup plus préoccupés par comment garder leur poste électif que de trouver des solutions aux problèmes des hôpitaux.
Ainsi, entre des professionnels de santé qui doivent animer les instruments de gestion de l’hôpital autonome dont le comité médical d’établissement et le comité technique d’établissement, qui prétendent n’avoir pas été impliqués dans l’élaboration de la réforme hospitalière, et des membres de conseil d’administration de l’hôpital autonome qui n’ont pas encore internalisé leur responsabilité, on a l’impression que la réforme hospitalière au Sénégal est portée uniquement par les directeurs d’hôpitaux. Ce n’est pas étonnant que le Sénégal soit confronté à des grèves hospitalières récurrentes où en plus des demandes de paiement des indemnités de motivations, on ne demande que le départ du directeur de l’hôpital. Les directeurs des hôpitaux, qui devaient institutionnellement être des relais entre les professionnels de santé et le conseil d’administration dans les processus décisionnels de l’hôpital autonome, se retrouvent maintenant comme les échappatoires de tous les maux et faiblesses de la gestion des hôpitaux.
Un compromis entre le centralisme étatique et les exigences des professionnels de la santé. Au Sénégal, l’hôpital autonome a été utilisé en effet comme une échappatoire. Pendant plusieurs années avant le vote de la loi sur la réforme hospitalière en 1998, les syndicats du secteur de la santé ont engagé des grèves pour l’amélioration de leurs conditions de travail, y incluse la motivation. Ces grèves ont pris pendant plusieurs années la forme de grève de rétention d’information par le personnel de santé.
L’initiation de la réforme hospitalière s’est traduite très tôt par une augmentation des ressources propres des hôpitaux. La raison de ce résultat n’était ni une augmentation du volume d’activités des hôpitaux, ni une augmentation des tarifs des hôpitaux. Cette performance financière résultait tout simplement de l’amélioration de l’efficience administrative de la mobilisation des ressources avec la centralisation du système de collecte et de tarification et la mise en place de l’agence comptable au sein de l’hôpital autonome. En d’autres termes, les fuites dans la collecte des recettes de l’hôpital ont été minimisées : au lieu d’aller dans les poches des chefs des services balkanisés de l’hôpital, comme c’était le cas dans plusieurs hôpitaux avant la mise en œuvre de la réforme hospitalière, les recettes allaient maintenant dans les comptes de l’hôpital autonome.
L’hôpital autonome du Sénégal apprendra à ses dépens que dans ce monde, les bonnes actions sont quelques fois punies. La première punition viendra des premiers perdants de la réforme hospitalière : ceux qui bénéficiaient de la mauvaise gestion de l’hôpital public avant la réforme hospitalière et qui s’enrichissaient sur le dos de l’hôpital. Les premières récriminations contre la réforme hospitalière ne sont pas venues des pouvoirs publics et des citoyens, mais bien d’une partie du personnel de l’hôpital qui a vu ses sources de revenus illicites menacées.
La deuxième punition viendra de l’illusion de la capacité financière créée par la forte augmentation des ressources propres des hôpitaux et la pression des syndicats de la santé pour la modernisation de leur outil de travail. D’importants investissements ont été réalisés dans plusieurs hôpitaux pour combler les fossés d’infrastructures et d’équipements qui ont longtemps grevé le fonctionnement et la qualité des soins des hôpitaux : tout investissement sanitaire (infrastructures ou équipements), cependant, génère des charges récurrentes importantes en termes de personnel, de maintenance et autres intrants. Le recrutement du personnel au niveau des hôpitaux a fortement augmenté avec la mise en œuvre de la réforme hospitalière, sans que la qualité technique de celui-ci, soit le critère dirimant, malheureusement.
La troisième punition viendra des pouvoirs publics eux-mêmes qui ont vu dans cette nouvelle manne financière un moyen pour faire face aux exigences des professionnels de la santé et des citoyens. Ce sont les pouvoirs publics qui ont décrété le prélèvement de 25% des recettes de l’hôpital autonome pour motiver le personnel dans l’espoir de faire taire les grèves chroniques des syndicats de la santé. Pour faire plaisir aux citoyens, une diminution des tarifs des établissements publics de santé a été décrétée par les pouvoirs publics. Par ces décisions, les pouvoirs publics n’ont réussi qu’une seule chose : mettre de l’huile dans le feu de la situation financière fragile des jeunes établissements publics de santé !
Depuis lors, il ne s’est pas passé une semaine au Sénégal sans que le personnel d’un établissement public de santé ne soit en grève. Pour cause : paiement des indemnités de motivations. En d’autres termes, les pouvoirs publics sont parvenus à décentraliser les blâmes portant sur l’amélioration des conditions de travail du personnel de santé et la gestion des grèves au niveau de l’hôpital. Malheureusement, les professionnels de santé ont été pris dans le jeu !
La combinaison d’importants investissements, d’importantes augmentations du recrutement de personnel, et le transfert par l’Etat d’une nouvelle charge, la motivation du personnel de santé, s’est traduite par des charges récurrentes importantes pour le jeune hôpital autonome dont les subventions d’exploitation n’ont pas connu le même rythme d’augmentation, en même temps que l’augmentation des ressources propres a été freinée par la diminution des tarifs. Des conseils d’administration fonctionnels et bien avertis auraient pu sonner l’alarme, mais l’importance des hommes politiques dans les conseils d’administration du jeune hôpital autonome n’était pas de nature à imposer la discipline budgétaire et à maitriser les coûts : au contraire, plus le jeune hôpital autonome qu’ils administraient était grand et visible, plus les hommes politiques pouvaient prétendre aux yeux de leurs électeurs d’avoir augmenté les capacités de l’hôpital dans la perspective de mobiliser du support politique pour les prochaines élections.
Ainsi, toutes les conditions étaient réunies pour enfoncer le jeune hôpital autonome sénégalais dans des déficits chroniques. Qu’aucun établissement public de santé n’ait échappé à l’accumulation des déficits traduit, s’il était encore besoin de le démontrer, les causes systémiques de l’endettement des hôpitaux. Il est clair que dans cette crise systémique des hôpitaux, sans prétendre dédouaner les directeurs des hôpitaux, la part de responsabilité de l’Etat est énorme !
Par conséquent, il ne suffira pas uniquement de sanctionner les directeurs d’hôpitaux, comme l’a prétendu le Président de la République dans son discours à la Nation du 31 décembre 2008, pour résoudre la crise des hôpitaux. Il faudra plus que cela !

Remettre la réforme hospitalière sur les rails
Dans la perspective de revitalisation de la réforme hospitalière au Sénégal, il est nécessaire de retourner à l’orthodoxie de l’autonomisation des hôpitaux publics. Un hôpital public autonome est avant tout un ensemble cohérent d’arrangements institutionnels pour coordonner les mécanismes de régulation étatique et les mécanismes d’autorégulation des professionnels de santé.
Dans le dispositif institutionnel de l’hôpital autonome, les mécanismes de régulation étatique sont élaborés à travers la définition de la mission de service public des hôpitaux, l’espace de décision (un ensemble de droits résiduels de décision sur des domaines bien définis) et les organes de décision, du régime financier de l’hôpital autonome y inclus (i) le cadrage des subventions d’investissement et d’exploitation, et des redevances des usagers auxquelles les hôpitaux autonomes peuvent prétendre prélever de l’économie pour remplir leur mission de service public, et (ii) les droits résiduels sur les revenus de l’hôpital auxquels peuvent prétendre les professionnels de santé qui animent l’hôpital.
Le cadre étant créé par les mécanismes de régulation étatique, les professionnels de santé usent des droits résiduels de décision qui leur sont octroyés par l’Etat pour assurer l’allocation efficiente de ressources, la qualité des soins et la maîtrise des coûts au sein de l’hôpital autonome à travers leurs mécanismes d’autorégulation. C’est là l’objet du comité médical d’établissement, qui regroupe les chefs de services de l’hôpital, qui a la responsabilité d’élaborer le projet médical de l’hôpital qui est le noyau dur du projet d’établissement de l’hôpital (le business plan de l’hôpital). Ce sont les mécanismes d’autorégulation - la collégialité et la pression des pairs - des professionnels de santé ayant la même expertise et parlant le même langage au sein du comité médical d’établissement qui assure qu’une balance entre les services techniques de l’hôpital est établie pour un service hospitalier de qualité : par exemple, pour assurer que le plateau technique de l’hôpital réponde globalement aux problèmes de santé de la population desservie, l’autorégulation au sein du comité médical d’établissement permet de veiller à ce que des services gynéco-obstétricaux par exemple ne soient pas hypertrophiés au détriment d’autres services techniques de l’hôpital qui sont nécessaires pour répondre aux problèmes de santé de la population desservie.
Pour les motiver à améliorer la qualité des soins et à maitriser les coûts, des droits résiduels sur les revenus de l’hôpital sont octroyés aux professionnels de santé : c’est lorsque l’hôpital réalise des surplus que les professionnels de santé peuvent prétendre à une motivation financière de l’hôpital. Le droit à la motivation financière au sein de l’hôpital autonome n’est pas un droit absolu, mais un droit résiduel car l’hôpital n’est pas la propriété privée des professionnels de santé. En faire un droit absolu crée des problèmes : entre l’hôpital et le personnel de l’hôpital dont les comportements déterminent la maitrise des coûts de l’hôpital ; entre l’hôpital et les citoyens qui doivent payer les services de l’hôpital quand ils sont malades.
En d’autres termes, la réforme hospitalière est une nécessité comme l’ont reconnue tous les pays du monde qui ont autonomisé leurs hôpitaux depuis fort longtemps. Pour remettre la réforme hospitalière sur les rails au Sénégal, il est nécessaire de dépolitiser les EPS et d’améliorer la gouvernance des hôpitaux. Pour ce faire, il est nécessaire d’engager une phase transitoire d’au-moins dix ans dans laquelle il faudra (i) séparer la réforme administrative et politique et la réforme hospitalière, et (ii) renforcer la responsabilisation des professionnels de santé dans la réforme hospitalière.
La séparation de la réforme administrative et politique et de la réforme hospitalière dans une phase transitoire est nécessaire pour dépolitiser l’hôpital autonome. Pour dépolitiser l’hôpital autonome, il faudrait sortir de façon transitoire la gestion des hôpitaux du domaine de compétences des collectivités locales : une telle éventualité va ressembler à un retour en arrière, mais un retour en arrière nécessaire. C’était une erreur de transférer la gestion des hôpitaux aux collectivités locales à une période où les hôpitaux faisaient face à beaucoup de besoins, alors que les collectivités locales n’avaient ni les moyens financiers ni les moyens humains pour prendre en charge une telle responsabilité. La phase transitoire va durer le temps qui sera nécessaire pour développer une fiscalité locale et une administration locale permettant aux collectivités locales d’avoir l’autorité de faire face à des acteurs aussi puissants que les professionnels de la santé dans un secteur où la légitimité cognitive est aussi importante que la légitimité sociopolitique.
En d’autres termes, l’Etat devrait reprendre la responsabilité de la gestion des hôpitaux et veiller de plus près à leur transformation en organisations publiques exposées au marché, mais dans lesquelles la responsabilité financière de l’Etat pour assurer le service public est bien définie. Dans cette perspective, les conseils d’administration des hôpitaux seraient composés par : des anciens professionnels de la santé qui se sont illustrés par leur réputation, leur expertise médicale et leur intégrité ; des hauts fonctionnaires des institutions financières de l’Etat ayant une connaissance et une expérience avérées des finances publiques et qui se sont illustrés pour leur intégrité ; et des capitaines d’industrie du secteur privé qui se sont illustrés par leur leadership et leur expérience du management de grandes organisations publiques exposées au marché ou de grandes entreprises du secteur privé.
Les catégories suggérées de membres des conseils d’administration apporteraient aux jeunes hôpitaux autonomes des connaissances, une expertise et des expériences complémentaires pour parachever leur modernisation durant une phase transitoire. Il est nécessaire de continuer l’amélioration du plateau technique des hôpitaux selon non seulement une politique hospitalière définie par les autorités compétentes, mais aussi sur la base de mécanismes de financement et de programmation des investissements et des recrutements qui garantissent la pérennité financière pour l’amélioration de la qualité du service hospitalier. La phase de transition serait mise à profit pour parachever le dispositif juridique et pour mettre en place et roder les systèmes de gestion de l’hôpital autonome. La composition suggérée des membres des conseils d’administration permettrait aux jeunes hôpitaux autonomes de disposer d’administrateurs qui vont leur être utile non seulement dans la direction de leur projet d’établissement respectif, mais aussi dans leur interface avec les pouvoirs publics, l’opinion publique et les partenaires extérieurs.
Le renforcement de la responsabilisation des professionnels de santé dans la réforme hospitalière dans une phase transitoire est nécessaire pour s’assurer que la réforme est portée par les professionnels de santé. Du point de vue du processus, les professionnels de la santé devraient être désormais au cœur de toute initiative pour changer le cours des choses dans le statut de la réforme hospitalière. Chaque initiative de politique devrait être accompagnée par une analyse des parties prenantes pour s’assurer que les perspectives des professionnels de la santé sont pleinement intégrées dans les directions et le processus d’action politique à entreprendre.
Du point de vue du contenu, il faudrait rééquilibrer les pouvoirs entre les organes de l’hôpital autonome en octroyant plus de pouvoirs de décision au comité médical d’établissement et aux services techniques en matière d’investissements, de recrutement du personnel, et de politique de motivation du personnel. La politique de motivation serait définie de telle sorte que ce sont les professionnels de santé des services techniques qui fournissent des efforts pour améliorer la qualité des services et les revenus de l’hôpital et pour maitriser les coûts qui sont récompensés pour les efforts fournis.
Ce n’est qu’après que les hôpitaux autonomes aient été modernisés et leurs systèmes de gestion bien établis dans une phase transitoire, qu’il faudrait envisager la substitution graduelle des professionnels de la gestion, membres des conseils d’administration, par des représentants des populations et des consommateurs.

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